Février 2016

Un amour

 

Avant même d’avoir parlé il savait que la blessure qu’il s’infligerait serait irréductible. Les alertes qui fugacement avaient traversé son esprit n’avaient pas suffit. Il voulait cette douleur pour elle comme pour lui, comme seul moyen d’encore se rejoindre : alors il l’avait fait en une très partielle connaissance de cause, mal pesée, mais qui sur l’instant lui paraissait légitime.

Tout d’abord il n’avait pas souffert, la blessure était pourtant déjà là, béante, mais la douleur lui en était abstraite, il ne la sentait pas.

Ainsi fût-il les douze premières heures.

C’est au moment du sommeil, du relâchement qu’il ressentit les premières atteintes du mal. C’était au demeurant et de toujours son moment de faiblesse, au mi temps de la nuit. Il s’était prévenu et ne fut pas surpris, seule la violence de l’attaque le laissa pantelant, comme supposa t-il, la perte contre nature d’un être cher.

Il se connût amputé d’une partie indistincte de lui même, ayant perdu un organe qu’il s’ignorait posséder. Il essaya, stratégie fallacieuse, de se construire une disposition d’esprit qu’il pourrait quelques temps (mais jamais plus définitivement) lui économiser la lancinante douleur – non pas la faire disparaître mais s’interdire d’y penser : quelques minutes, au mieux quelques heures.

Puis elle reviendrait, entière et intacte, comme une vague de ressac l’envahissant malgré les digues qu’en tous les endroits distincts et perceptibles de son corps, il construirait.

 

Variantes :

1• Tel un gisant il s’allonge et se fige espérant qu’à la raideur de son corps fera suite celle de son esprit.

 

2• Il s’endort d’un sommeil agité de rêves incongrus – il se réveille souvent et soudainement, pour constater que la douleur est là., intacte, chevillée à son corps

 

3• Alors il réalise la perte de cet organe qu’on lui a ablaté, dont il ignorait jusqu’à l’existence. Et qu’il ne sait nommer, par défaut, qu’Amour ; puis vient la douleur qui submerge et il ne sait plus rien d’autre, s’agenouille, pleure et supplie, apprend la prière.

 

 

Mars 2016

 

Il peint.

Un peu comme on jardine, il y a une saison pour tout.

Bêche, sème et sarcle, le jardin est joli.

Alors à la margelle du puits il s’assoit et contemple les rames et les plants qui lèvent heureux d’une promesse.

Pour l’heure le paysage suffit.

 

 

Il peint.

Et puis non.

S’assied et regarde, plisse les yeux, ne sait plus ce qu’il fait.

Racle, retouche, abandonne et se couche.

 

Il peint.

Encore une fois ne sait et doute.

Il est taiseux en son esprit. Ne sais plus par ou penser.

Il recommence.

 

 

Avril 2016

Un voyage à domicile

 

Dans la soirée qui s’installe, alors qu’une sorte de tranquillité voluptueuse envahit la cuisine - mais aussi l’alentour - que le décors quitte sa dimension solaire pour celle plus mystérieuse de la nuit, il s’assied, ou plutôt tire une chaise pour y allonger ses jambes et, à son tour, se laisser envahir par cette étrange roideur qu’il croit être celle de l’obscurité.

Devenu immobile, épaules, cou, regard il est tout à la fois scrutateur de ce paysage ménager aux très fines mouvances mais aussi partie prenante.

Comme s’il avait acquis avec l’ombre, la nuit et l’abandon, un don d’ubiquité… le temps qui passe lui est compté – curieusement sans raison – il le sait, simplement, alors il laisse le décor se mettre en place, s’en laisse imprégner et, au prix d’un effort soudain le considère et le photographie, sans espoir d’en rendre d’ailleurs tout à fait compte.

Ce qui vient à lui ne résistera pas ou peu à l’épreuve de l’éveil.

 

De l'été à l'automne 2015

Au jardin 1

Il n’y a pas d’urgence – ni d’impératif à voir – pourtant ça se remarque – imperceptible, mais absolument présent, dès lors que le regard l’a organisé. Car en soi et sans la complaisante composition du regard il n’y aurait rien que le quotidien, la vue plus ou moins plaisante d’un jardin, coquet, certes agréable, mais sans plus ; un jardin comme on en voit partout en somme.

Au demeurant le jardin participe mais n’est pas l’objet. C’est une alchimie bien plus mystérieuse, très évanescente qui est à l’œuvre, que l’on voudrait saisir , retenir, incapables que nous sommes de la voir naître et mourir sous nos yeux, et que l’on ne sait dire – juste voir. 

Il n’y a peut-être et finalement rien d’autre à dire que ce rien, que les mots, images qui courent désordonnées dans la pensée et que, s’asseyant, calme, attentionné on ne peut saisir ni clairement percevoir. 

La main est levée, la tête se redresse et droit devant le regard cherche un ancrage, l’amorce du flux qui permettrait de remonter le cours des rêveries choyées, préservées comme une collection rare et fragile dont chaque spécimen ne pourrait se donner à voir qu’à la faveur d’une longue et minutieuse mise en scène.

Stratégie du guetteur qui au mouvement informe et permanent de l’air, de la lumière, du bruissement, de l’ombre qui palpite, déchiffre calcule et reconnaît gestes et regards aussi ténus que ceux d’un malade qui sait que sa survie tient à l’économie qu’il fera de ses gestes mais aussi de ses pensées et bouge littéralement sur place, investissant ce qu’il a d’abord devant lui, le reconnaissant, le nommant et lui donnant vie pour y vivre : un carnet à spirale, une mine, une gomme et un taille crayon, un téléphone, un sac contenant lui même un appareil photo, le tout sur une table de jardin et sous un parasol.

Devant lui les feuilles brillantes de la vigne vierge et le massif d’arums blancs superbes en cette saison.

Chaque fois qu’il lève le regard en quête du fil ténu qu’il espère exister, il plonge dans la luxuriante verdure, ondulante qui lui fait face. Puis, son regard coule sur la gauche vers les grandes fougères et un autre bouquet d’arums, revient au centre glisse vers la droite, là ou le mur n’est pas encore couvert de vigne et ou il a ménagé un petit carrés de fleurs qui lèvent à peine et revient encore au centre, calme et désappointé. 

Au jardin 2

Son regard fixe comme un phare balaye de gauche à droite ce petit jardin qu’il affectionne, puis lentement sa vue semble s’engourdir, son corps qui se relâche se laisse envahir par la fraicheur délicieuse du soir .

Au dernier chant du merle, au silence qui s’impose, la journée cède place au décor de la nuit.

Alors de tout son être il sait qu’il appareille 

Au jardin 3 

Il est assis dans la transparence du matin, il ne sait ce qu’il pense ni ou orienter sa pensée.
Il est calme et serein, jouissant de l’air frais qui court sur son visage.
Il se prépare.
Depuis des mois il se prépare.
Il ne construit rien, n’échafaude rien, apprenant le silence.
Sa pensée dorénavant reposée vagabonde et butine glanant d’infimes souvenirs qu’il serre en sa mémoire.
Il se prépare.
Mais ne sait rien.
Ne sait que cela.
Il attend.

Quelque chose en lui semble avoir renoncé.
C’est venu un jour comme une évidence, sans douleur et sans regret : il n’en peut plus de la lourdeur du labeur, de l’oppression, de l’inquiétude, il n’est pas assez fort et a trop joué à l’être.
Il se dit qu’il est vieux, qu’une vie est passée et qu’il veut profiter.
Il ne fait que noter. 

Atelier 1 

Ne restait que des scories, lambeaux de ces moments de plus en plus rares, qu’il préservait quelques temps puis détruisait quand leur présence l’insupportait, ou rangeait dans un énième carton qui peu à peu envahissaient la maison.

Il avait depuis beau temps cessé de couvrir les murs de toiles ou dessins, sans pour autant retirer les anciens, témoins de ce qu’il se plaisait à considérer comme un âge d’airain. 

En fouillant la matière, jamais plus à la brosse – mais à la spatule – il se laissait conduire par les impromptus de la pâte.

A plusieurs reprises il tente de revenir à l’idée première, si mince, si ordinaire – ne se dit-il pas que ce n’est qu’un prétexte – puis renonce et prie pour un miracle. 

Parfois son attente est récompensée et des formes – humaines sans doute – qu’il est prompt a pressentir émergent d’un fond boueux et coloré. Alors, comme un jardinier reconnaissant en pleine terre la levée des graines qu’il a semé, il leur prête toute son attention, sarclant et nettoyant l’alentour, reformulant les fonds, rehaussant les contours, prenant sans cesse le risque d’avorter la fragile promesse. 

Il connaît cette nature, flirt avec l’irréparable - dont il s’échappe parfois dans une sorte de sursaut, quittant soudain le rêve éveillé dans lequel il se complaisait -  mais il sombre souvent. 

Alors il fait son deuil – longtemps – douloureusement.

Il revient fréquemment, mu par une obligation agacée, comme si quelque magie pouvait opérer, sauver non plus tout mais partie, non plus la chose mais son succédané qui alors suffirait à son contentement. 

Il sait pourtant, que chacun de ces allers-retour brefs et frénétiques prépare le moment où son esprit va se glacer et faisant abstraction de toute douleur qu’il entrera dans l’atelier le regard fixe et droit pour ne rien voir, et qu’il mettra fin à ce cancer qui le ronge. 

Et voici que le temps s’est perdu, que l’énergie, la longue approche de son corps qui se glisse derrière la table face à ce minuscule morceau de toile, que les mélanges et variantes irreproductibles, les magnifiques espoirs ouverts, cette confiance gagnée jour après jour – oui que tout cela s’est perdu. 

Atelier 2 

Il s’interroge sur la difficulté de peindre, écrire, dire. Chaque fois l’objet lui échappe ;  ne reste qu’un discours verbeux et vague, à lui même abscons.
Il reste en hébétude, frileux en sa pensée, envahi du silence ouaté de l’esprit. 

C’est alors que sourdre l’idée que rien ne peut-être différent de cela – jamais - qu’il n’y a qu’à se fondre, que l’œuvre n’est pas humaine et que seul ici bas, le commentaire prévaut. 

Atelier 3

Il avait appris au fil des années le silence et le repli.
C’était une capacité qui lui était venue peu à peu, il ne savait plus quand.

A un moment de sa vie, arrivé au bout d’un système dont l’alchimie révélait ses limites, il avait profondément modifié sa peinture qui d’élégante et d’une séduction qu’il jugeait facile était devenue laborieuse, difficile, ingrate.

Il savait que ce serait long.

Il découvrit que c’était sans fin.

Dans les décennies qui suivirent et plus encore dans les dernières années il prît conscience que chaque pièce semblait faire table rase des acquis de la précédente, le temps et l’âge ne lui apportant aucune certitude bien au contraire.

Il recommence encore tournant le dos au labeur précédent, dispose les outils, les pâtes, prépare le support.

Il se sent vide. Hésitant.

Il sait qu’une fois commencé les choses viendront d’elles même, pour le meilleur ou pour le pire, que dans une certaine mesure il a droit à l’erreur, que l’impulsion première sera déterminante.

Alors il ferme les yeux. 

Atelier 4

Il se souvient du goût du désir, du temps ou son ivresse n’avait de cesse, qu’il vivait en chantier ne finissant jamais, recommençant toujours.
Il regarde les toiles alignées.
il sait comment fonctionne l’envie.
Il se dit qu’il n’y a qu’à redire toujours à l’identique, qu’il a bien trop voulu, qu’il a beaucoup perdu.
Il y pense sans cesse. 

Atelier 5

Il a avec le temps appris l’économie : il se préserve même face à l’envie.

Atelier 6

Il agence et contemple, retourne, efface et contemple de nouveau.
Des heures puis des jours, puis des années, agi par une urgence d’ou la saisie est exclue : il aimerait le faire… et puis non . 

Peinture 1

Il racle, essuie, recommence ; plusieurs fois la pâte s’anime mais ne s’y reconnaissant pas il efface.
(il se dit qu’il aurait pu garder mais il préfère détruire)
Il pense qu’il faut insister, que tout n’est que courage car ce qu’il va livrer ne sera ni beau, ni plaisant.
*Il pense que lorsque cela se fera il le saura – il peut se tromper aussi – tout cela est sans fin mais il ne connaît pas d’autres choix.
Le temps ne joue plus pour lui, peut être est-ce mieux ainsi. 

Peinture 2

Il malaxe la pâte comme on ferait de la terre. Parfois des formes naissent qu’il préserve un instant. Et puis il les défait. 

Peinture 3

Il regarde jusqu’à l’usure des yeux.
Sa tête dodeline.
Il est heureux. 

Bumet 

Ils avaient découvert cela par hasard et depuis, chaque fois que le temps le permettait ils s’installaient sur la galerie de bois de la maison dans des fauteuils hors d’usage et attendaient béats et silencieux que le soleil brûlant d’Août descende exactement dans la trouée de pin qu’on aurait dite aménagée pour la circonstance.

Le spectacle durait une quinzaine de minutes : d’abord le disque solaire accrochait la cime des arbres, puis il se logeait exactement dans la découpe s’y enfonçant lentement jusqu’à totalement disparaître.

Ils restaient alors calmes et silencieux jusqu’au premières exhalaisons humides  de la prairie, puis dans l’obscurité naissante retournaient à l’intérieur de la maison.

Ainsi chaque soir il se sentait happé par ce moment dont il ne savait plus s’il était acteur ou spectateur, se demandant si tout ceci n’existerait pas que par et pour lui.

Bien des années plus tard il comprit combien ces quelques soirées l’avaient profondément changé

Dans la cuisine 1

Il reste assis seul dans la cuisine pendant que le jour cède lentement à la nuit.
Son regard lourd reconnaît l’alentour ; son corps se fige et sa vue se brouille.
A présent l’obscurité entoure la pièce et sous la faible lumière de l’ampoule, dans le silence qui s’impose, le paysage ménager se transforme. Il dérive doucement, légèrement inquiet à la fréquentation de ces contrées vierges. Il en prend quelques notes brouillonnes et imprécises, puis fatigué fait le noir.

Dans la cuisine 2

Il reste immobile et tente d’orienter sa pensée. Il ne sait rien d’autre que ce qui s’offre sous ses yeux qu’il contemple sans jouissance comme une parenthèse de l’être.
Il est « entre deux »  comme le bras mort d’une rivière. 

Dans la cuisine 3 

Plein sud, cuisine, aux premières gelées de décembre et donc assis face à une lumière bleue et glacée il plisse les yeux comme si le paysage très limité à une table de marbre et les reliefs d’un repas : tasse, verre, cuillère, cafetière, une rangée de pots ménagers qu’il tient de sa mère : sucre, farine, chicorée, pâtes… puis les fenêtres donnant sur la cour dont le mur déserté de la vigne vierge ne laisse apparaitre qu’un réseau de branches en forme de candélabre, l’éblouissait, à moins qu’il ne s’agisse d’une manière toute à lui de mieux voir. 

Un modèle 1

Elle vient d’entrer dans son champ de vision. Nue.
D’un regard il la saisit et du geste la modèle l’invitant à des poses qu’elle admet sans conteste.
Puis elle s’absente et son visage à son tour se dénude laissant présager du moment délicat qu’on ne peut que surprendre. 

Un modèle 2

Elle se laisse conduire et quitte ses atours, ne se reconnaît plus et bientôt se découvre.

Un modèle 3

Elle se dévêt et son visage aussi, puis devenue autre donne à voir l’évidence 

Un modèle 4

Avant même de les découvrir il avait déjà tracé les rivages.
Alors il retourne à son poste de guet. Immobile. Attentif, surveillant l’alentour 

La saisie du modèle 1

Elle dépose à ses pieds la nudité convenue puis attend.
En l’instant il sait qu’il est perdu, qu’il doit s’abandonner.
Alors désespéré encore il renonce à ses plans 

La saisie du modèle 2

Sa nudité l’oblige. Il ne sait plus et sait qu’il devrait, qu’il est le conducteur et ne peut s’en démettre.
Alors il s’approche – incertain et s’excusant en silence, la modèle.
Dès lors chaque vue le guide vers la suivante.
Aux fins changements de posture des paysages se révèlent : il note, s’égare et se laisse emporter

La saisie du modèle 3

Il prépare.
Depuis des semaines il prépare, note et dessine.
Mais il sait qu’au moment même ou elle apparaîtra il sera aveuglé.
Il sait qu’en l’endroit de vérité il devra quitter le rivage et se laisser couler à l’offrande de son corps.
Il dérive longuement, trouve quelques amers, se laisse surprendre – ainsi la connaît-il mieux- quand enfin elle s’abandonne. 

La saisie du modèle 4

Depuis qu’il attendait le moment est venu. Pourtant il sait qu’encore il vogue sans péril le long d’un littoral assez peu exotique mais pourtant il se quitte.

La saisie du modèle 5
Elle sort de l’ombre et entre sur la scène tendue des draps blancs qu’il a disposé.
Une fenêtre donnant sur le jardin laisse entrer une froide lumière qui semble la saisir.
Elle attend alors que pris d’une légère sidération il la regarde autant qu’il l’imagine.
Il sait que ce silence inconvenant la dénude au delà de leur convention et qu’il lui faut restaurer sa pudeur.
Il suggère une pose. 

La saisie du modèle 6

Elle entre en lumière lui laissant saisir son image et ses poses : le marché est truqué, il lui vole bien plus, mais il ne sait quoi.
Peut être le sait-elle ? 

La saisie du modèle 7

Il voudrait voir son corps comme un paysage : éternel et figé. 

La saisie du modèle 8

Bien qu’elle soit déjà nue il pense à la dépouiller encore. 

Un portrait

Elle dénude son visage des fards de la convenance, puis dépouillée d’elle même, ne se connaissant plus, se laisse contempler 

Un portrait 2

Il recherche une pose – croit l’avoir trouvée – qu’il pourrait peindre à satiété – et puis non.
Il lui fait un visage. 

 

2013 - 14

Autour de chez moi, et même un peu plus loin

 

Longtemps je goûtais ces moments où,
assis dans la torpeur de l’après-repas,
l’anodin de la cuisine se révélait à moi
dans une nouvelle gravité.

Longtemps j’en recherchais une transcription.

Ayant fixé, sur la gélatine, quelques formes incertaines 
j’entamai alors une lente exploration de l’alentour.

Chez moi

Sur la cour : 

Souvent, plein sud, le midi, la porte ouverte sur la cour
et l’air ensoleillé qui entre là.
Face à moi.
Court sur ma peau .

 Le verre de vin :

Appuyé d’un coude sur la table, selon un angle de 40° approximatif,
je contemple ma tasse de café et un verre de vin à demi vide.

Autour de chez moi

La maison Sautier : 

Dès que l’extérieur m’oblige.
Omniprésente.
Au demeurant la poste aussi,
mais ce n’est pas pareil.

 Sur la cour :

Le fil à linge et aussi les branches de cerisiers lourds de neige.
Comme un décor japonais.

 Ailleurs

Maelle : 

A l’amorce du film,
visage oublié ou saisi par hasard.
Elle même peut-être.

 

Sous mes yeux 

se déroule le paysage ménager quotidien.
Immobile, j’’y promène un regard flottant. Je m’y fonds.
Parfois je m’arrête et hésite, comme à la croisée de chemins.

Parfois se révèlent d’émouvants panoramas : éphémères, ils ne deviennent perceptibles que par la grâce de ma divagation.

L’urgence à saisir est alors immédiate, geste cleptomane qui, bientôt, les serre en sa collection. 

Après :

Instantanés d’un voyage immobile,
Vues prises,
Instants volés,
Âmes figées aux reflets diffus
Esquisse des rivages auxquels j’abordais. 

Après encore :
Le temps et l’oubli passent,
L’acuité s’estompe,
L’intention change : se proposent alors les amers d’un autre voyage 

Epilogue :
L’image est voleuse d’âmes qu’elle saisit et enchâsse.
Certaines en meurent.
D’autres perdurent. 

Sous mes yeux (suite)

Enfouies,
chuchotées,
pour ne pas tout à fait dire.
Lentement le silence envahit,
J’attends l’instant,
ce peut être long  

De l’apparition à l’enfouissement.
Comme un secret susurré
qu’aussitôt révélé il convient d’oublier 

Regard qui dénude puis
Capture.
Voleur !
Et la peau qui s‘électrise. 

Aux fins de repas je fonds.
Mon regard promène et s’arrête
dans l’ivre torpeur des reliefs ordinaires.
Longtemps je reste à leur considération.
Hébété,
Dubitatif.
Le sommeil gagne. 

Je regarde sans oser, du bout des yeux, à la dérobée,
Le panorama ménager qui doucement se compose

Au soir,

le paysage ménager se prépare à la nuit,
M’embrasse ;
Je prend la pose.

 Le regard ralentit puis achoppe et révèle d’éphémères constellations
dont la gravité sourde souligne le double ombreux. 

S’emplir jusqu’à partie prenante.
Puis s’y fondre.
Alors je repose.

 

Au soir,

jambes allongées, les yeux me piquent,
alors que le froid envahit la pièce, je me fige.
Puis vient la pluie
La scène ménagère s’enveloppe alors d’un plaid,
nocturne et silencieux. La voici révélée.
Pendant que je prends place,
le silence tombe sur le théâtre immobile de la nuit.

 

Au soir,

Quand la maison s’endort
je reste au paysage de la cuisine.
En saurais-je rendre compte. 

Nuit et fraicheur tombent ensemble,
je me fond et me fige.

Me voici minéral.

 

Au soir,

Voici venu le moment de la veille et tout se révèle
J’ingère,
Afin de mieux voir,
puis régurgite 

Sous mon regard, le paysage s’anime.
L’aurais-je porté à la vie s’il ne s’était proposé ?

 

Au soir,

Comme en contemplation
L’autour m’enveloppe.
La conscience s’aiguise,
se perd,
et se retrouve.
Ailleurs

 

 

 

Atelier

L’acuité flottante de l’affût, chaque soir me perd.
Me voici fatigué
Je vois sans regarder
Mais quoi ?

 

Evitements 1

Dans un demi sommeil
L’épreuve diurne s’annonce.

Au soir plénitude. 

Des mois puis des années,
Je tourne autour, évite.
Je ne pourrai plus le faire bien longtemps. 

Souvent je rêvais d’un point d’orgue serein,
Je pensais même y toucher.
Au matin je redoute. 

Il y a vingt ans je prenais un chemin de traverse et m’égarais.
Qu’en ais-je appris ?
Rien, sauf à l’écrire 

 

Evitements 2

Mon regard n’est jamais clair.
Je chemine approximativement.
Ni repère, ni certitudes.
En aurais-je ? 

S’asseoir.
Oeuvrer.
Au risque de faillir 

L’atelier m’effraye.
Pourtant le soir je m’y retrouve,
Plein de moi 

 

Evitements 3

Les choses anciennes ouvrent plus de possibles que je n’en attendais.
Voyager à rebours ?
Au bord du quai j’hésite.

 

Evitements 4

Les amarres rompues, le flot du temps me berçait
Longtemps.
Je m’éveillais bien tard
Inquiet et redoutant
La vacuité du jour 

 

Evitements 5

La nuit tombe et ferme la maison.
Me voici soulagé du poids de la journée

 

Peindre 1

Il y a longtemps que je tire le même fil du même écheveau.
Quand était-ce ?
Au début des choses assurément. En suis-je lassé ? 

Parfois le point de vue prédomine et éclaire.
Omniscience du regard,
fugace.
Bientôt le temps s’écoule 

Revenir sur.
Encore …
Ou bien refaire, mais ce n’est pas pareil 

Toujours ou presque : recouvrement.

Les repentirs sont des stigmates qui affleurent, et donnent à voir leur douloureuse genèse.

Temps naturalisé.
Enfoui
Mais qu’importe ?

Voici donc la question, car de fait il importe. 

De reprises en retouches, j’espère la délivrance ;
s’ensuivent parfois quelques heures tranquilles.
A l’horizon des inquiétudes se dessine l’épreuve qui maintenant me tarde,
familier de la peur je n’en éprouve aucune ; et vient le calme du jour qui tombe 

Le temps autant que le travail, use et transforme
Et parfois
Sans attente,
Bonifie.
Ou bien le regard change … 

Ma fille me dit ce soir : « tu te remets à peindre »
M’étais-je donc arrêté ? 

Peindre 2

Dans peindre il y a faire.
Ce n’est pas que pensée.
Si je m’étais trompé ? 

De toujours ou presque,
j’enfouissais ma peinture sous la couche à venir.
Est-ce donc un secret ? 

L’image est un mistère.
Je contemple et bientôt
ne vois plus.
Chaque station plus longue.
Bientôt l’éternité. 

Je regarde de biais.
Je saisis mieux ainsi.
Je danse aussi,
autour.
Je déplace
dans l’atelier
puis toute la maison
Longtemps.
Des mois :
Je me mets à aimer 

Peindre 3

Aurais-je le courage aujourd’hui
D’affronter l’atelier.
Et le froid aussi 

Je me promenais mais ne le savais pas
je passais simplement d’ici à là, comme ça.
J’en ai souffert, puis me suis absenté.
Il fallait bien le faire pour enfin le savoir 

Je ne produisais plus, évitais l’atelier,
les tubes avaient séché …
les photos ? oui bien sur … pourtant,
la préoccupation de peindre, jamais ne m’a quitté 

Je n’aime rien qu’à divaguer,
en esprit, sur la page ou la toile.
L’idée est vague, j’en suis le fil,
fragile il casse,
d’autres surviennent que je choisi.
Je me laisse conduire : gomme, trace, essuie,
la voie devient étroite, la course irréversible,
j’arrête pour aujourd’hui. 

Personnage à peu prêt

J’empâte et m’égare.
En plusieurs instants
Je vois la perte et l’aboutissement.
J’arrête et décide : fini.
Personnage à peu prêt

Les jours gris 

Je resterais bien assis .
Dans la cuisine.
J’écrirais à la table,
verre de vin et café.

et voilà qui est fait 

Le temps est très très gris,
Le jour quand il se lève semble se recoucher.
La pluie tombe de surcroît.
Je m’agite faiblement.
Voyons le canapé 

Du lit au canapé,
du canapé au livre,
du livre au carnet,
quelque part un repas,
le café qui s’étire,
du café à la sieste,
de sieste en cheminée,
du feu de bois au livre,
quelque part un repas
La journée est passée 

Vin 

Le premier verre sur la faim,
Délicieusement âcre :
Le palais est ouvert.

 

Réminiscences 1

j’ai comme un souvenir si enfoui que j’en doute
j’y descend jusqu’au vertige et pense le saisir.
Puis rien qu’un vague bourdonnement comme un goût d’ouate en bouche.
J’y reste quelques temps en une apnée facile.
Non rien vraiment … alors,
je me laisse renaître.

 

Réminiscences 2

L’insecte palpite
au creux de mes paumes étanches,
Je le sens qui griffe et s’affole
Puis d’un bon se libère,
m’abandonnant une de ses pattes.

 

Au père Lachaise

1955 ou plus,Toussaint
Ma mère et ma grand-mère nous laissent.
Rite obscur dont l’hermétisme n’a d’égal que le temps passé avec mon père,
dans la voiture,
sous la pluie. 

1972
Il faisait beau je crois,
nous déambulons, idiots et insolents et,
Je ne sais plus comment,
je découvre glacé la pesante pénombre du columbarium.
Mon grand-père y a alors cédé sa place 

2013, Printemps
J’attends le convoi funéraire.
Arrivent parents et amis.
La pluie redouble.
Nous marchons et attendons,
Absent de nous même,
Puis viennent les adieux.
Bientôt je m’éloigne et m’égare  

Françoise

Parlant de sa mort prochaine, Françoise m’écrivait la peur que lui procurait la simple écriture du mot MORT.
Elle se disait aussi émue par le bleu si bleu du ciel,
Et cela se suffit.

Photographier

Je relève la main et le temps se fige.
Confiscation.
Pari pris, ambitieux
Et le regard qui use,
Des mois puis des années.
Le temps est de nouveau passé. 

Voyageur immobile
je découvre des reliefs familiers :
touriste en ces terres, je photographie et collectionne 

Je voyage et me perd,
l’obscurité m’entoure,
je continue pourtant.
Photographie.
M’échappe 

Je flotte à la surface
d’un paysage,
qu’œil rivé au viseur
j’explore, légèrement inquiet.
Puis je plonge.
Choisi.
Saisi,
et remonte asphyxié 

J’ai tant saisi de choses qu’à présent elles s’ordonnent : 
l’ombre de la chaise, la moulure du placard.
En rendrais-je encore compte. 

Je vois par le viseur, un peu comme en plongée,
promène l’objectif en surface des reliefs ménagers.
Ainsi je dérive,
légèrement inquiet.
Je change de focale,
aussi de point de vue.
Je vois par dessous moi
et je cartographie 

Me voici debout, ne voyant plus du dedans.
Sommé d’intelligence, je me fais géographe
En m’érigeant j’ai troquée la vision de mes sens, pour celle de mon esprit. 

A la marge

La pensée,
Dans son essence douloureuse
S’offre et ne peut se survivre.
Seul l’autre perdure,
Illuminé parfois. 

L’œuvre s’offre au palais des esthètes
qu’en attendre ?
Disparaître !
En lumière,
en obscurité
Disparaître ! 

Aretha

Je regarde comme l’on voit en rêve, mais pourtant éveillé.
Ainsi je comprend mieux
(du moins je le crois),
mais comment dire cela ?
Dans l’à peine lumière du soir,
se devinent puis s’éveillent,
des tableaux sombres et silencieux :
elle me dit les formes inquiètes de ses peurs
et je comprend si bien que je ne la détrompe pas.
Tous deux dans la maison,
reconnaissons ce que nul autre ne voit,
puisque seuls le percevons. 

L’enfant pleure,
fatiguée.
Me voilà désarmé 

Contine

Un pull sur un valet,
et des chaussettes à terre.

Je lui flatte l’échine.

Mais voici qu’à côté
Moulé dans le placard (?)
un autre chien paraît. 

Un grand cerf, un lézard,
la nuit et puis les bruits,
un crocodile aussi.

Qui c’est qu’arrive ? 

Boulevard Edgar Quinet (1978) 

Le ciel était couvert et le bitume humide venait d’être arrosé
Dans les reliefs du marché,
quand les pigeons s ‘envolent,
tout en un coup bascule.
Immédiatement je sais que le cours de ma vie vient de changer de sens.
30 ans plus tard je m’en souviens encore et commence à comprendre 

Boulevard Edgar Quinet bis (1978) 

Au milieu du marché,
qui reste à démonter,
je marche, envahi
d’une jeune gravité

Hôpital

Le temps qui s’était mis à la neige me parût de circonstance.
De la fenêtre de l’hôpital je regardais Patricia s’éloigner en me disant que ce pourrait bien être la dernière image que j’emporterai d’elle. 

Au café

Assis présent-absent
A distance de moi même
J’écoute et je devine.
Ca rit, ça se raconte.
Cette pièce est sur-jouée

 

Le fauteuil

Je me suis toujours vu,
déjà enfant,
assis dans ce fauteuil.
Réparé et tapissé, il garde son aura.

Je m’assois entre ses bras

 

Les larmes de mon père

A la fin du repas,
sans raison,
mon père s’était mis à pleurer.
Il est triste et j’en suis gêné,
sans raison à mon tour. 

 

Portraits d'un modèle nu

2013 - 2014

 - Peu à peu son visage, aussi nu que son corps,
se réserve, et puis se voile.

- Comme une île son visage, surnageait aux profondeurs de sa nudité.

- Elle s’allonge et son corps, reconnaissant  l’académisme, s’envahit de langueur.

 - Elle prend la pose puis se réserve.
Ne sachant plus que faire de sa nudité offerte, je lui vole la face.

- Visage dénudé,
négligemment saisi,
qu’à nouveau j’imagine.

- Déshabillé du décor, son corps se meut, lascif,
s’exhibe et pose.

- Lorsqu’elle fût déshabillée, Sa face était plus nue que son corps.
Trahissant alors des conventions que nous n’avions pas, je la dévisageais

- Habillé d’absence, son corps dit en creux, le visage qu’elle vient d’oblitérer

 - Son corps, comme un visage m’oblige. J’hésite et atermoie.

- Dénuder d’abord et courir le corps comme un paysage.
Puis comme un corps, le visage dénuder à son tour.

- Ses seins, son con, son cul, s’offraient à la photo,
mais de son visage absent, je préférais l’hymen.

- Tandis qu’elle se laisse conduire et pose, alertée d’un frisson peut-être,
elle jette sur son corps un léger voile de pudeur.

- Je jouais du cadrage : détails, plis, recoins, m’interdisant d’en voir le troublant assemblage, son corps, par fragments mis en exergue, perdit  de son érotique flagrance

- Je collectais en plusieurs instants, les éléments épars de sa nudité.
Longtemps après j’en chercherai l’assemblage.

- Explorateur studieux de sa géographie charnelle j’en dressais une cartographie fidèle ; puis me fourvoyais.
Plusieurs fois j’en repris l’ouvrage révélant de nouveaux panoramas.
Le temps qui passe semblait bonifier ma quête, pourtant elle se délitait.
Au final je fus perdu.
Enfin égaré, je dérive et découvre, ombres et reliefs qui ne font paysage que par la grâce de mon regard.

- Longtemps je revenais à ces fragments épars, changeant le catalogue de leur agencement, mais je savais au fond qu’il me faudrait rouvrir le chantier.

- Je regarde encore quelques clichés, j’en classe quelques autres.
Déjà je suis parti.

- Modèle en l’atelier, déshabillée sous mes yeux je la dépouille encore des atours de sa nudité : la voici paysage.

- Comme un défi sa nudité s’affiche.
Plusieurs fois j’y reviens et lui ôte ses fards.
Des mois puis des années, mes yeux vont et reviennent, sur ces images que j’érode et dépouille de leurs ultimes voiles

- Nue en l’atelier, j’avais saisi ses poses ; j’explorais pas à pas, apprenant l’évidence. A la fin c’est aux marges que je me retrouvais

- Elle est nue semble t il. Polissant son image, je la dénude encore

- Flux et reflux du regard qui submerge et érode.
L’alentour m’emplit – je m’y fond : c’est immergé que je vois.

 - D’ombre en formes vague se dessine un chemin que je découvre et reconnaît

 - En m’approchant trop près je ne vis plus qu’un chaos d’ombres et de formes vagues. J’en appris les arcanes. Avançant au hasard, je saisissais quelques points de vue, mais certains clichés en témoignent, les très bas reliefs et l’absence de repères rendaient toute orientation illusoire.
J’étais venu trop près et découvrais la vacuité de ces étendues ombreuses. 

- Comme une divagation, les paysages disparaissaient dès lors que je m’en absentais. Je relevais alors fiévreusement les traces de leur fugitive existence.
Saisis dans l’instant même de les voir ils semblaient s’affranchir du temps.
Je cherchais pour mes notes une facture qui ne fût pas marquée du sceau de l’instant mais dont l’atemporalité tisserait la trame d’une nouvelle errance.
De ces clichés je crus plusieurs fois avoir tout exploité – mais chaque fois que j’y revenais, je découvrais ce qu’aveugle j’avais saisi.
J’avais vu sans voir, réservant la découverte à plus tard .
Curateur de ma propre errance le temps me fit reconsidérer bien des clichés.
De cette somme je fis nombres lectures puis me dit qu’il suffisait.
Je me préparais alors à repartir.

Mars 2015

- Mes yeux courent sur son corps délaissant son regard qui bientôt se voile et disparaît. Plus nu que son corps dénudé son visage l’était éternellement ; je ne l’avais considéré qu’aux marges d’une séance de pose et je mis bien plus d’une année à en envisager l’exploration.

- Sortirais-je les modèles de la brume ? Je pensais que leur visage pourrait être mon point d’orgue.  Je n’étais pas supposé considérer autre chose que la nudité de son corps. Je passais pourtant outre et volais son visage.

- Il y avait une sorte de rupture érotique entre son visage et son corps qui peu à peu s’estompait

- Comme sa face son corps était dénudé pourtant seul ce dernier se prêtait au regard

- Elle se déshabille puis est nue.
Il faudrait braver cette nudité mais je ne la regarde qu’à peine et la photographie. Les poses se suivent. Je la conduis.
Ce sera bien plus tard que j’en découvrirai le fil

- De son corps j’avais fait l’inventaire (rien ou peu n’y manquait) comme autant d’histoires éparses dont le lien aurait échappé.

- Je regarde ses reliefs du coin de l’œil, comme un larcin possible
Son corps nu, exposé, prend le risque de se voir dépouillé.
Elle n’en sait rien : je la pille.

 - Convoquée par mes soins je n’ose son spectacle qu’il faudrait contempler. En rapides œillades j’en vole quelques images, je regarde en rapine et la déshabille de sa nudité.

- Elle pose.
Je moissonne.
Puis coupable m’absente.
J’engrange au hasard les images et m’en remet au temps.
Regard vague et absent qui occulte la voluptueuse indécence de son corps dénudé

- Son visage ombreux aurait mérité l’éclatante lumière de sa nudité.
Bien qu’ayant convoqué cette érotique impudeur je n’osais la contempler. J’en dérobais donc quelques trophées. Touriste en ses paysages je ne sus que les piller et de mon larcin fis une collection. 

- Sa nudité attend réponse : regard en retour qu’incapable de lui donner je fuis en photographie : elle avait posé en quittant son corps me laissant le soin d’en compiler les souvenirs.

- Elle se quitte me laissant quelques images que je prend et archive.
Plus tard elles se révéleront. Je range mon bagage.

 Nouveaux nus

- Je savais que sa nudité ne prendrait forme que sous mon regard, je l’attendais et le redoutais. Sous peu le paysage allait s’offrir : j’attendais inquiet et attentif,
craignant de ne savoir poser mon regard sur ce qui serait proposé :
corps en paysages figés dont l’âme se serait absentée.

-  A ma demande elle se dénude. Moins que le spectacle de ses atours c’est mon audace qui me trouble

 - Je m’étais habitué à l’ampleur des paysages du corps : seins, pubis, fesses, ventres… Ceux du visage par leur étroitesse me déroutaient, leur exploration n’était pas comme je l’avais trop vite pensé qu’une simple réduction d’échelle et impliquait que je reconsidère le point de vue

 

- J’épuise les images et mon regard aussi. Cela dure. Longtemps. Un an peut être : j’aime et déteste et aime encore.
La paix finit par s’installer 



Les jours gris 2012-2013

Au matin j’attend,
rétréci à moi même
le moment de l’épreuve qui passera j’espère 

En presque rien je suis à l’autre berge, j’oublie l’avant et y retourne. 

Je traque la quiétude, la trouve, elle échappe 

A l’instant où tout disparaît, l’envie avec, j’écoute les séquences et ne sais plus rien d’autre : la peur vient de céder, avant qu’elle ne reprenne : voici l’éternité 

Je vis comme encadré : parenthèse ouverte, parenthèse fermée  

Je m’entretiens l’espoir : miracle ou rémission.
Le gout de vivre est fort entre deux cataclysmes 

Sur la cour 

1

Sous mes yeux la fenêtre,
puis le mur,
puis le toit.
Gelés . 

2

Le buisson d’hortensia sur fond vert luxuriant,
Le ciel noir sur les toits,
l’orage roule et gronde

 

3

La porte ouverte sur le jardin frais de la pluie qui tombe 

4

Au premiers froids,
La glycine perd ses feuilles
jaunes qui couvrent le sol 

5

La fraîcheur et la nuit tombent.
Le dernier merle rentre en sifflant 

6

Le bruit de l’averse emplit le jardin,
et la gouttière glougloute. 

7

Je regarde la cour.
Encore – toujours
Je regarde la cour :
 la voici transformée. 

8

La lumière est tombée,
en plein après-midi 

Intérieurs 

1

Quand vient le soir et l’orage,

la maison exhale la chaleur oppressante de la journée

 

2

L’ombre et la torpeur ont installées un théâtre dont je suis l’unique spectateur

 

3

Le jour en baissant révèle l’ombre tranquille de la maison qui bientôt se fond dans la nuit 

Paysages 

Le passage de la dune

Nous marchons au rare couvert des pins
Qui bientôt disparaissent.
Sable nu et brûlant.
Au faîte de la dune,
l’océan apparaît,
frais, grondant, venteux.
Nous descendons pressés l’à pic vers la plage. 

Bumet

Un soir, puis plusieurs, dans la lande,
Le soleil passe entre les pins
Et nous restons assis.
Je me souviens du plaisir de la plage,
Et des soirs,
De nos ébats aussi.
Et de la plage encore

 

Immortelles d’Italie

J’ai jeté aujourd’hui
les fleurs jaunes cueillies un de nos étés d’Océan.
Après toutes ces années,
elles avaient gardé cette odeur de noisette qui parfume les dunes.  

Marée basse I

Chaque jour, sable brûlant,
Puis le sommet de la dune d’où nous embrassons la plage immense
Vierge et poudreuse aux horizons.
Loin devant l’océan écume et fracasse. 

Marée basse II

L’océan se retire et découvre la plage.
A l’étale elle est nue 

Au couchant

Le soleil de cinq heures tape aux flans de la dune,
les pieds glissent, s’enfoncent dans le sable qui brûle.
Qu’il est dur au mois d’Août le retour de la plage. 

De Monta au Pin Sec

Nous avançons sur la plage,
Guettant le sable dur.
Nous nous baignons, nus et fiers.
Puis repartons.
Au loin le vent fait se rejoindre,
La dune,
La plage,
Et l’océan 

La route forestière

La dune comme un à-pic,
puis, bleu sombre,
l’océan qui palpite 

De Vandays à Port de By

D’abord on voit la vigne et puis ça devient plat,
jaune,
un peu pelé.
Des canaux enherbés,
on se perd.
Des maisons basses et grises,
le vent freine,
on approche. 

Rivages de boue noire quand la mer se retire,
barques échouées obliques dans les ports envasés,
tout est vague,
un peu désespéré 

La mer est retirée.
Une jetée posée là.
Une plage fangeuse.
Très loin passe un navire

 

Plage 1

Du côté de Royan,
Nous sommes nus sur la plage et nous nous contemplons,
Imbus de notre audace. 

Plage 2

La voiture est garée entre goudron et sable.
Nous partons vers la plage dans le chant des grillons, au couvert des pins, au soleil qui brûle…
Au fait de la dune nous irons droite ou gauche. 

Cèze 1

Devant le mazet le vent du soir se lève et m’engourdit. 

Cèze 2

Nous traversons la Cèze, tenant haut les paniers,
puis remontons son lit sec et pierreux.
Au retour le soir Maelle sur mes épaules,
Laurine et Patricia descendent le courant.

Cunault

La Loire délavée et le ciel pareil,
les fillettes de Layon au midi sous la treille,
la pêche à la friture, un soir avant l’orage.
Puis nous mangeons, buvons, jouons.
Au matin les croissants, gauloises et café noir.

 

Sur la route

Depuis quelques nuits les oiseaux chantaient tôt le matin.
Aujourd’hui la forêt est poudré de vert tendre

 

Natures mortes

Sous mes yeux un citron, à demi écrasé,
un carafon d’eau aussi
côte à côte s’exposent sur la table.

Un verre ballon,
son ombre ensoleillée.
Que viennent les beaux jours ! 

Le bruit des mobylettes entre dans la cuisine,
et le soleil aussi. 

Les ombres courent en mars,
du froid au chaud,
sur la table de marbre 

Peinture

1

L’œuvre s’invite dès le coin du regard.
C’est comme une douleur : le courage qui en suinte rend taiseux, envieux. 

2

Je vois sur les murs, des choses abandonnées,
que je regrette.
A 60 ans passés je n’ai fait que croquer : trop tard pour arrêter 

3

En 10 ans la photo a presque tout phagocyté – J’ai laissé faire, par paresse.
Mais j’ai beaucoup appris, à regarder surtout 

4

Je me laisse conduire et puis elle apparaît
Le reste n’est que dispute dont je tiens les minutes 

5

A chaque nouvelle série j’ai changé la facture…
et perdu l’alchimie 

6

Esquisse de personnage, je me laisse conduire.
Les pâtes et les couleurs en mélange sur la toile.
Je racle, essuie, délave, fixe et recommence…
Lentement ça émerge. 

7

La peinture est pétrie dans le faire.
La penser ne sert à rien sauf à la commenter 

8

Un temps pour voir,
Un temps pour faire,
Puis voir comme on l’a fait 

9

Ce qui me fait souci c’est le trait qui sépare, j’y reviens de toujours, s’en deviendrait un style

10

La bordure m’est difficile,
J’en teste les limites et trouve un compromis 

11

Trop souvent je peins sans peindre
Jour après jour l’idée m’en vient,
Je m’y arrête
Puis elle m’échappe 

 

Peindre encore 1

Je peignais éperdu et m’en suis fatigué.
Vînt la photo, d’horizon limité,
et puis parler, écrire sur et de tout cela.
Je vois dans les cartons, des fragments de moi même.
J’aurais appris l’attente.

 

Peindre encore 2

Au début la chose est vague puis, se précisant, exige.
Fatigué j’en croque un aperçu 

 

Auto portrait

Je traque la routine,
fige et collectionne,
dresse en creux mon portrait

 

Photographier

Réduisant mon regard au cadre du viseur
j’explore le quotidien
Sans bouger je vais, d’une vision à l’autre :
J’en extrais un cliché 

Je saisi flou,
c’est à dire à peu prêt.

Peu importent les choses,
je n’aime qu’à les dire

 

Voyageur 

1

J’ai voyagé longtemps. Immobile.
J’en ai de beaux souvenirs.
Mais ceux que je ramène sont loin des ambitions

 

2

Me voici immobile, sans bagages, prêt à voyager.
Ici assis, sans bouger.

 

3

Regard et nuque figée,
j’écoute,
je vois,
me fond 

J’ai tant saisi de choses que j’en suis fatigué.
Ce soir je me demande s’il faudrait continuer.

 

4

Devant moi le buffet, j’y laisse aller mes yeux,
les choses s’organisent, fugaces et s’évaporent


 

5

Sous mes yeux les choses se font et se défont,
j’en saisi la pulsion, m’y fond,
qu’en faire ? 

Chaque jour je me quitte,
vaque.
Au soir me réhabite

 

Je ne suis plus certain de la séquestre,
comme geste artistique.
J’ai toujours eu ce fond. 

6

Je m’égare et chemine,
au hasard, ou presque,
élabore une géographie nouvelle et,
aveugle en ce monde
fait œuvre de souffrance. 

7

Les clichés ne disaient pas « ainsi étaient les choses » mais bien « voici comme je crois qu’elles m’apparûrent » 

Voir 

1

Je vois flou,
ainsi mieux j’imagine 

Je regarde comme ça, en gros,
sans prêter attention,
juste un regard pour voir. Et puis ça se décante, se précise, s’enrichit.
C’est devenu complexe

Les couleurs se fondent et les formes aussi.

On ne voit presque rien,

ainsi mieux j’imagine.

 

2

Je fonds jusqu’à partie prenante dans la contemplation des choses.
Me voici paysage.

 

3

Quand la veille se relâche, dans le silence qui bourdonne,
que le regard se trouble,
doucement l’alentour s’anime

 

4

Je regarde
(…)
et regarde
(…)
et c’est changé.
Puis je regarde encore mais c’est une autre histoire. 

5

A regarder des heures j’ai changé jusqu’à mon regard. 

6

Immobile.
Pris de froid.
Sur un tabouret haut
Je regarde et j’attend. 

7

Je met l’image en oeil comme le texte en bouche.

 

 

 

 

Voyager 

1

Voyageur immobile,
je m’éloigne de côtes,
qui peu à peu s’estompent,
et ne sont plus bientôt,
qu’une seule nuance

 

2

Dans le silence épais qui bourdonne,
la nuit gagne et dispose les ombres d’un voyage,
pour lequel j’appareille.

 

3

De chaque cliché pris,
je réinvente un sens, organise et relie, 
pour un second périple

 

4

Mon regard glisse d’amer en amer et cela suffit au voyage

 

5

Amarré dans la cuisine mon sang cogne aux tempes comme une machine en cale.
J’appareille bientôt dans l’agitation fébrile qui préside au départ.

 

En plongée

 

1

Allongé en surface,
je me laisse porter par la légère houle,
et sous moi les herbiers,
s’agitent souplement,
on y voit presque rien et c’est comme un vertige. 




2

J’avance immobile (ou plongeais-je)
du cœur d’un paysage dont les contours s’estompent.
Egaré dans l’abime j’y distingue des formes vagues et minérales dont l’obscurité m’inquiète.
Et le silence vibre

 

3

De dedans l’intérieur je vois des choses vagues par lesquelles je navigue.
J’ai appris le silence ;
de la pensée aussi,
j’y flotte léthargique,
Apaisé.

 

4

j’avance immobile, dans l’abysse sombre 

 

Au jardin

 

1

J’ai nettoyé le potager.
Assis au bord du puits, je le contemple

 

2

La terre bien bêchée et les sillons formés,
les tuteurs et les rames,
le soir au potager

 

3

Pendant que le jour baisse,
assis sur la margelle
je guette l’à peine vert des premiers plants qui lèvent 

 

4

Au milieu du printemps,
la cour grasse et humide
luxuriante de verts

 

5

Le froid saisi.
La pensée s’évapore.
Les merles rentrent au nid

 

6

J’aimais le voir assis sur son banc de fortune, fatigué de biner son potager modèle.
C’est mon tour aujourd’hui.

 

7

La fraîcheur et la nuit tombent.
Le dernier merle rentre en sifflant

 

8

La pluie en tombant emplie le jardin de son bruit, et la gouttière glougloute.

 

Réminiscence

Il pleut ce jour là.
Egaré entre les étals,
au bord de l’avenue pavée les voitures éclaboussent et mes yeux s’ouvrent au monde

 

Pays Basque

Cinq ans je crois, Bidard je sais,
nous montons,
ma grand mère et moi,
au petit panorama.
J’ai le souvenir vague d’une vue étroite,
comme celle d’un décors de marionnettes : fermé sur les côtés
Je m’assois sur le banc et nous restons tous deux,
Tendres et heureux

 

Collectionner

J’ai collectionné ces images dans un album immaginaire qu’en plusieurs fois je reclassais 

Je classe et réassemble.
Chaque fois je revois. 

Je revisite.
Une fois encore.
Découvre.
J’apprend par cœur 

 

Au café

 

De la terrasse je regarde passer les gens
Comme on regarde les vagues à la plage

 

A bicyclette

1

Je mouline facile
Les pédales tournent seules,
pas de vent ou portant.
C’est si bon que je pense
Que puisqu’il faut mourir,
j’aimerais ce fossé.

 

2

ça mouline facile
les pédales tournent seules ;
pas de vent ou portant,
C’est si bon que je pense
à ne plus m’arrêter.

 

 

J’aime les vélos,

De toujours je les aime,
ceux de route et de course,
légers qu’on lèverait d’un doigt.

J’aime les voir rutilants suspendus en vitrine, 
J’entre dans la boutique, et sens l’odeur de graisse,
je déraille et la chaîne saute sur les pignons

Les mains sur les cocottes je teste les patins,

J’écoute les roulements, traque les frottements
J’aime le matériel, les maillots, les bidons … et les cyclistes aussi,
les photos d’Anquetil dans Miroir du Cyclisme.

 

Sur la levée

Un jour Tonin me parle des cyclistes fluos qui passent sur la levée,
j’imagine un de Stael sur un fond de Debré

 

 

Journal

 

2

Me reste le désir mais le courage me manque.

 

3

Je m’essaie à penser : silence devant mes yeux.
Ce que j’ai dit l’a été par devers moi et le sens m’en échappe

 

4

Quelqu’une me dit que c’est très beau – elle semble sincère.
J’en suis pantois.

 

D’autres viennent, comprennent, complimentent et questionnent : je ne sais qu’incertitudes.

 

5

Assez vite je m’égare puis me perd sans retour.
J’aurais pu revenir sur mes pas mais de toutes façons je ne savais ou aller.

 

6

Entre veille et sommeil je largue les amarres puis dérive dans l’ombre qui gagne.

 

 

6 b

Ma pensée dérive et se berce de son ressac. Bientôt je sombre.

 

7

J’ai découvert derrière cette table de marbre des contrées dont je me souvenais déjà.

 

8

Toujours en peinture je me perd. Recommence.
Reviens-je pour autant au départ ?

 

9

Dans la cuisine je navigue autour de moi et salue des rivages familiers

 

9 b

Au jusant de ma rêverie je découvris des rivages inconnus et familiers.

 

10

Les mots ou la peinture : un flot dans lequel j’avance sans en savoir ni l’amont ni l’aval, m’y ouvrant une voie que je connais sans doute

 

11

Je suis encalminé, recherchant un prétexte.
Tous me sont difficiles

 

12

Encore j’attend – non plus avec angoisse – et j’écris de ce vide

 

13

C’est comme un goût sans goût. On ne sent rien que le temps qui passe et qu’on regrettera.

 

14

J’écris sur rien et de nulle part

15

J’ai quitté sans attention la rive et ne rejoins pas l’autre.
Au demeurant existe t-elle ? 

16

J’aimais les collections et les albums aussi. Mais l’album fini m’attristait.
Puis de même j’aimais les feuilletons, les aventures et le Tour de France dont la dernière étape me navrait
La lecture est une collection sans fin celle là.